Série

Traversées: le mur d’eau

Traversées: le mur d’eau

" Il y a 6000 ans déjà, la barque était présente chez les Egyptiens comme outil et symbole de l’épreuve de la mort supposée déboucher sur la rive opposée, sur une vie autre. Dans sa série “Traversée de Sfax à Kerkennah”, Dalel Tangour raffine à l’extrême les éléments visuels de la composition des images photographiques. L’absolu de l’horizontalité de la mer est subtilement décliné avec les superstructures enveloppantes des bastingages du traversier; il est confronté aux masses simples des canots de sauvetage; il souligne la rectitude écrasée des reliefs des phosphates et de l’île ; il se joue également dans les basculements modernistes des points de vue en perspective et en plongée oblique ou verticale. La matière de l’élément marin estrévélée en friselis graciles, en masses sombres, en moires de couleurs où la lumière joue de la profondeur. Glacis de couleurs, laque impalpable. Les attaches, les filins comme le bastingage, soulignent l’importance des arrimages, de la mutation d’état qui distingue “être en mer” d’être amarré.

Fenetres delel
Fenetres delel

La proximité des formes géométriques du bateau avec les architectures terrestres génère un rapprochement surréaliste ; tandis que l’orbe de la courbe marine souligne la grâce des équilibres naturels. Ce ciselage de lignes, ce nuancier délicat de couleur, l’artiste les extrait de la plénitude des masses et des surfaces brutes. Le dialogue entre un enfant et un aîné, dos zébrés d’ombre, les rythmes de disposition des jambes des passagers, la figure dressée le long du bateau, tout un ensemble de postures sont délicatement prélevées par l’artiste au cours du passage d’une rive à l’autre. La radicalité de la passion de Dalel Tangour pour la structure du langage de l’image, et du langage des images entre elles, culmine avec “Lueurs” où le pinceau, parfois dédoublé, de lumière du phare martèle au bord de l’obscurité pleine, l’écoulement du temps. La pose de jalons temporels est le creuset de l’acte photographique toujours. Pour “Bord extrême” c’est plus encore que la géographie poétique du Cap Bon, la succession d’arrangements aléatoires composés par les divagations d’êtres humains sous la ligne électrique, qui compose la danse de “l’insoutenable légèreté de l’être”, métaphorique des destins humains, comme au bord du Nil. Les trois séries photographiques de Dalel Tangour exposées ont été réalisées en 2010 et 2013. "
-- Joel savary critique d’art et collectionneur